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Les fondamentaux de l'OIT

🕓 Temps de lecture : 10 minutes

 Les fondamentaux de l'OIT
#social #tracabilite

Ecrit par Sawsane le 15 juin 2020

En 2014, l’industrie du textile et de l’habillement emploie 60 à 75 millions¹ de personnes, soit une augmentation de 275% en 15 ans², d’après les données rapportées par la Clean Clothes Campaign. Des chiffres qui en font un business juteux, représentant pas moins de 1300 milliards d’euros³ en 2010. L’habillement est ainsi devenu le fer de lance de pays en développement, désireux de s’insérer dans la mondialisation. Les scandales, réguliers, qui essaiment les journaux ont amené plusieurs associations et labels à défendre une conception extensible des droits fondamentaux reconnus aux travailleur.se.s par l’organisation internationale du travail.

Kézaco l'OIT ?

L’organisation internationale du travail (OIT), entend garantir des conditions de travail décentes au sein des pays membres des Nations Unies⁴. L’organisation produit aussi bien des travaux de réflexion, que des recommandations ou des conventions – juridiquement contraignantes une fois ratifiées. La ratification signifie deux choses : que le pays signataire s’engage d’une part à appliquer en droit comme en pratique la convention et qu’en cas de non-respect, il s’expose à des sanctions internationales.

Les conventions fondamentales

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Les fondamentaux de l'OIT

8.

C’est le nombre de « conventions fondamentales » définies par l’OIT. Relevant de principes fondamentaux du droit du travail, l’objectif affiché par l’OIT est celui de la ratification universelle. Par soucis de lisibilité, les libertés et droits fondamentaux ont été regroupés en 4 thématiques, parmi lesquelles :

La liberté syndicale et de négociation collective (Conventions numéro 87 & 98)

Sur le papier 📝

Le terme « organisation » désigne tout groupement ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleur.se.s. Ainsi tout.e travailleur.se dispose du droit, sans autorisation préalable, de constituer ou de s'affilier aux organisations de son choix, de négocier collectivement, sans que des autorités publiques ne puissent limiter ou entraver ce droit. Des garanties de protection devant les tentatives d’ingérence ou les menaces visant les adhérent.e.s sont exigées à ce titre.

En pratique 🤷

Les choses sont plus complexes. Au Pakistan comme au Bangladesh, pourtant signataires des conventions, les membres de syndicats s’exposent à des formes d’intimidation – parmi lesquelles, des menaces de licenciement, d’après une étude⁵ menée par l’Human Rights Watch en 2019. Au Bangladesh, entre décembre 2016 et avril 2017, une sévère répression gouvernementale s’abat sur les ouvrier.e.s revendiquant une hausse des salaires selon la Clean Clothes Campaign⁶.

L'interdiction du travail forcé (Conventions numéro 29 et 105)

Sur le papier 📝

« Par travail forcé, il faut entendre tout travail imposé par l’Etat ou un particulier sous la menace (privation de nourriture, confiscation des terres, non-versement des salaires, violences physiques, sévices sexuels, emprisonnement) » d’après l’OIT⁷. Les deux conventions entendent abolir immédiatement et complètement le travail forcé quelles que soient les circonstances qui l’entourent.

En pratique 🤷

Là encore, les violations des clauses des conventions sont légion dans certains pays. En témoigne le décès de Taslima Aktar⁸, jeune Bangladaise de 23 ans, le 13 octobre 2017, trois ans et demi après l’effondrement du Rana Plaza. Le constat établi par les travailleurs de l’usine est édifiant : les congés maladie ne sont accordés par les contre-maîtres qu’à la condition de justifier d’une grave maladie, tandis qu’une absence de plus d’une journée se voit sanctionnée d’un renvoi. Les heures supplémentaires devenues monnaie courante ne sont rémunérées que partiellement voire pas du tout.

L’interdiction du travail des enfants (Conventions numéro 138 & 182)

Sur le papier 📝

L’OIT demande l'abolition effective du travail des enfants et l’élévation progressive de l'âge minimum d'admission au travail afin de permettre aux adolescent.e.s de mener à terme un développement physique et cognitif normal. L'âge minimum est fixé à 15 ans, sinon à l’issue de la scolarité obligatoire – qu’il s’agit de garantir. Tout emploi susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescent.e.s ne pourra être effectué avant l’âge de 18 ans. De même les pires formes d’exploitation de l’enfant sont prohibées.

En pratique 🤷

En Inde, la législation fixant l’âge minimum à 15 ans a contribué au développement de la pratique du « Sumangali »⁹ dans l’industrie textile. Des jeunes filles, entre 15 et 18 ans, souvent issues de familles modestes sont engagées pour travailler dans des filatures. L’absence de formation ainsi que l’usage d’outils de travail obsolètes les exposent à des blessures, et dans certains cas, à des amputations. Soumises à des violences verbales, physiques voire sexuelles, astreintes à réaliser des journées de travail de près de 12h, elles vivent dans une extrême précarité.

L’interdiction de la discrimination à l’embauche et au travail (Conventions numéro 100 & 111)

Sur le papier 📝

Les entreprises sont tenues de n’opérer aucune distinction entre main d’œuvre masculine et féminine pour un travail de valeur égale. Tous les aspects de la relation de travail reposent sur l’égalité des chances. Aucune discrimination, d’aucune forme, distinction de race, de genre, d’affiliation, d’appartenance à un syndicat, de nationalité, d’origine sociale ou de handicap ne doit interférer dans quelque aspect du travail que ce soit.

En pratique 🤷

Pourtant, en 2016, un rapport de l’OIT montre que la différence nette des salaires entre hommes et femmes dans l’industrie du textile reste encore relativement importante en Asie, notamment au Pakistan et en Inde où celle-ci s’élève respectivement à 64,5% et 34,6%¹⁰.

Les conventions... inefficaces ?

Les normes de l’OIT ont, comme on le constate au gré de nombreux exemples, leurs limites. Pourquoi des conventions à valeur contraignante peinent-elles à être appliquées ? Le problème est insidieux : seuls les états voient leur responsabilité engagée en matière d’application de conventions – ce qui n’est pas le cas des entreprises. Il suffit donc pour le pays signataire de produire une régulation se calquant sur les mesures de l’OIT sans pour autant en contrôler l’exécution. La mise en œuvre effective des fondamentaux et des conventions de l’OIT est laissée au bon vouloir des états signataires. Pour les pays en développement dont l'économie repose sur l'industrie du textile, l'absence de véritable régulation est courante.

Au-delà des fondamentaux

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| © Adrien Taylor / Unsplash

En même temps que les exigences de transparence et d’éthique occupent un espace de plus en plus considérable, des labels ainsi que des ONG – la Fair Wear Foundation ou Le collectif Ethique sur l’étiquette, demandent d’autres assurances gageant d’un environnement de travail décent. Le socle reste celui des conventions de l’OIT – fondamentales comme non-fondamentales.

Le droit à un revenu minimum vital (Conventions numéro 26 et 131)

Sur le papier 📝

Le revenu minimum vital est un salaire qui permet de répondre aux besoins de base du travailleur.se et des personnes dépendant de ses revenus : logement, nourriture, transport, éducation. Les états doivent fixer des taux minima de salaires pour les travailleur.se.s, d’après le niveau général des salaires dans le pays, le coût de la vie ainsi que les prestations de sécurité sociale. Les salaires minima ne pourront pas être abaissés sans quoi les employeur.se.s s’exposent à des sanctions. Ce minimum légal doit être connue des travailleur.se.s.

En pratique 🤷

L’Asia Floor Wage Alliance, préconise un revenu minimum vital de 367 dollars au Bangladesh¹¹, loin, bien loin de la rémunération effectivement pratiquée dans l'industrie du textile. Pour une semaine de 48h – souvent bien plus dans les faits, les salarié.e.s reçoivent 66 dollars¹² (soit 264 dollars par mois). Alors que le prix des loyers ne cesse d'augmenter et que l'inflation s'élève désormais à 6%, les salaires ont très peu varié et ce, à chaque fois dans le cadre de révoltes ouvrières. A titre de comparaison, en 2019 le taux d'inflation moyen en France était de 1,1%¹³.

Un encadrement du temps de travail (Convention numéro 1)

Sur le papier 📝

La durée de travail ne saurait dépasser 8h par jour et 48h hebdomadaire. Une période de repos hebdomadaire de 24 heures consécutives est accordée à tous les travailleur.se.s sans distinction. Néanmoins le Japon sous certaines conditions, la Chine, l’Inde Britannique ainsi que la Perse et le Siam en sont exemptés. Les violations de cet encadrement sont encore régulièrement constatées.

Le droit à un environnement de travail réglementé (Convention numéro 155)

Sur le papier 📝

Les pays sont sommés de mettre en application une politique nationale cohérente en matière de sécurité, de santé des travailleur.se.s et du milieu de travail, en vue de prévenir les accidents et les atteintes à la santé qui en résultent. Ils ont pour objectif de réduire au minimum les risques inhérents au milieu de travail en tenant compte de l’aménagement, des substances utilisées sur le lieu de travail, des procédés employés.

En pratique 🤷

C’est – aujourd’hui, le domaine où le plus d’avancées significatives ont été réalisées. Pour autant, les normes de travail sur le plan global sont encore loin d’être idéales et la progression observée sur ce plan ne doit pas participer à éclipser l’ensemble des revendications des salarié.e.s du textile.

Dès 2012, le Collectif Ethique sur l’étiquette, la Clean Clothes Campaign et les syndicats Bangladais font campagne pour la signature de « L’Accord » portant sur la mise en place et l’application de normes de sécurité plus strictes dans les usines textiles. Répondant à la problématique de la responsabilité des entreprises en matière de droit du travailleur, l’Accord placé sous l’égide de l’OIT, prévoit des inspections à l’improviste des usines. Alors que le WRAP estime en 2013 que seulement 10 à 12%¹⁴ des usines subissent ce genre de contrôle, en raison du coût financier et humain que cela représente. Pourtant l'Accord, renouvelé en 2018, comprend moins de signataires que la première version¹⁵.

Et maintenant ?

Il s'agit de continuer à faire valoir les mesures promues par l'OIT tandis que le scandale du Rana Plaza s'étiole dans les consciences collectives. Au-delà d’accords bilatéraux entre états et organisations internationales, il paraît essentiel de faire appel à la participation d’ONG, de syndicats mais surtout des entreprises, premières responsables des abus constatés. Les droits des travailleur.se.s ne sont pas optionnels : ils sont nécessaires.

Nos sources

¹ Facts on The Global Garment Industry

² Ibid.
³ Ibid. 

A propos de l'OIT Textile : un rapport de l’ONG Human Rights Watch dénonce les conditions de travail au Pakistan Rana Plaza : 5 ans après Elimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire Même quand je serai sur mon lit de mort, ils me demanderont de finir deux pièces de plus avant de rendre l’âme Sumangali ¹⁰ Assessing the gender pay gap in Asia’s garment sector

¹¹ cf. "Même quand je serai sur mon lit de mort, ils me demanderont de finir deux pièces de plus avant de rendre l’âme"
¹² Ibid. 

¹³ L'inflation a ralenti en France en 2019, à 1,1% en moyenne ¹⁴ Comment améliorer la sécurité des usines dans les pays émergents? ¹⁵ Fashion Revolution : État des accords de sécurité au Bangladesh

Tags : Les enquêtes