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🕓 Temps de lecture : 13 minutes
Ecrit par Solène Dislaire le 30 août 2023
Dans un article précédent on vous a parlé des labels de la mode et de leur fonctionnement. C'est bien gentil tout ça mais les labels ne vérifient pas tous la même chose ! Labels écologiques, labels sociaux, labels du commerce équitable... Il nous reste encore pas mal de choses à décrypter ensemble.
On va ici se concentrer sur les labels de la mode ayant des exigences sociales. Leur objectif commun ? Instaurer des normes allant au-delà des minimas sociaux dans des pays où la production et la fabrication de textiles sont les plus présentes. Vous vous en doutez sûrement, les pays principalement visés se situent en Asie de l'Est et en Asie du Sud.
Les usines dans ces pays ont été les théâtres de plusieurs drames humains à cause de conditions de travail indignes et de failles dans les systèmes de sécurité.
Le problème est que les audits sociaux, ayant été réalisés peu de temps avant, sont justement censés prévenir ces tragédies. Alors pourquoi sont-elles quand même arrivées ? Et quel rôle pour les labels sociaux aujourd'hui ?
L'enfer des labels #2
Pour vous rafraîchir la mémoire depuis notre dernier article, voici un court rappel sur les labels
Un label est une marque protégée associée à un produit ou à une organisation, délivrée par une tierce partie et contrôlée régulièrement sur la base d'un cahier des charges établi collectivement. Celui-ci assure la qualité, l'origine et les conditions de fabrication d'un produit commercialisé.
On le trouve sous la forme d'un logo apposé généralement sur l'étiquette du vêtement.
Alors, que vous cherchiez un t-shirt made in France pour femme, un jean bio pour homme ou des chaussures vegan, on vous déchiffre tous les labels dans cet article.
Pour ce qui est du label social, il se concentre, lui, sur deux étapes lors de la production de textile :
Les producteur.rice.s sont parfois (voire souvent) soumis à des conditions de travail dangereuses pour la santé. On peut penser ici à l'utilisation excessive d'engrais et de pesticides qui sont régulièrement sous le feu des controverses - ça vous rappelle sûrement certaines polémiques.
En plus de l'aspect sanitaire, les producteurs souffrent d'une instabilité de l'emploi, de relations professionnelles déséquilibrées, de rémunérations trop faibles et incertaines etc.
Les labels sociaux se concentrent tout particulièrement sur cette étape à cause de règles trop souples et peu contrôlées. On retrouve ici les problèmes de sécurité et de santé dans les usines, les salaires bien trop faibles pour rémunérer dignement les travailleurs, le temps de travail trop long... la liste est longue.
Voir nos vêtements éco-responsables pour femme Voir nos vêtements éco-responsables pour hommeBon, mais concrètement, que garantit un label dit social ?
Usine de confection à Dacca au Bangladesh | © nyusternbhr / Foter.com
On utilise en exemple ici un nombre limité de labels sociaux mais vous pourrez en trouver d'autres.
Les labels visés : Fairtrade (Max Havelaar), Fair Wear, GOTS, BioRe.
Les labels sociaux se basent généralement sur les conventions fondamentales de l'OIT (l'Organisation Internationale du Travail).
A lire aussi : 💬 Les fondamentaux de l'OIT
Pour rappel, l'OIT regroupe un certain nombre de normes relatives aux conditions et relations de travail dans l'industrie du textile.
Cependant, les labels sociaux essayent d'aller plus loin que les seuls fondamentaux de l'OIT.
Des labels comme bioRé, Fairtrade International ou Fair Wear Foundation exigent le versement d'un salaire vital.
A lire aussi : 💬 Les salaires dans la mode
Le salaire vital est une rémunération permettant de couvrir les besoins fondamentaux des travailleurs et de leurs proches dépendant de leurs revenus. Ce salaire est fixe et ne peut être abaissé par les employeurs. Il varie selon les pays en fonction du niveau général des salaires sur le territoire, du coût de la vie ainsi que des prestations sociales.
Le salaire vital est préféré par certains labels sociaux puisque le revenu minimum est en réalité insuffisant pour garantir un niveau de vie décent.
Les pays doivent travailler à renforcer ces normes afin d'empêcher les accidents au travail et les atteintes à la santé. Pour se faire, les labels mettent le focus sur les substances utilisées et manipulées par les travailleurs, les procédés employés ainsi que l'aménagement même du lieu de travail.
Les normes standards liées à la santé et la sécurité ne suffisent pas. C'est pourquoi de nombreux labels travaillent à établir d'autres règles pour assurer des horaires de travail contrôlées et raisonnées, un travail déclaré mais aussi d'autres mesures sociales comme la possibilité de bénéficier d'un congé maternité par exemple.
C'est ce que garantissent des labels comme bioRe ou Faitrade.
⇒ Une bonne sécurité pour des producteur.rice.s vivant souvent dans des situations précaires.
Ces deux mesures assurent aux producteur.rice.s une rémunération digne pour elleux et leur famille. Cela leur permet aussi de se projeter dans l'avenir.
Celles-ci peuvent prendre la forme de primes sociales ou alors de primes de développement. Ces dernières permettent aux producteur.rice.s de bénéficier d'un supplément pour investir dans des projets locaux (amélioration de la production, accès à l'eau, construction d'infrastructures etc.).
Des labels comme Fairtrade ou GOTS vont chercher à assurer d'autres standards en matière de commerce équitable. Voici une courte liste de mesures :
Le label Fairtrade va d'ailleurs marquer la différence dans ses certifications entre les produits respectant les normes standards du commerce équitable et ceux allant plus loin, afin d'encourager cette démarche.
Tableau récapitulatif des principales exigences sociales des labels
NB : Ces labels peuvent prendre en compte des critères sociaux mais il faut aussi se renseigner sur l'étape de production qui est visée par tel ou tel label : production de matières premières ? Confection ?
Exemple : un label comme GOTS a mis en place des standards sociaux lors de plusieurs étapes allant de la transformation des fibres à la distribution ... à l'exception de la phase de production des matières premières !
L'audit social a pour objectif principal de révéler des violations au cœur de chaînes de production complexes. (bonjour la sous-traitance en cascade 👋)
Les auditeur.rice.s vont donc identifier les problèmes liés à la sécurité, à la santé et aux conditions de travail puis proposer des pistes d'améliorations, voire des solutions.
Les audits servent souvent à accorder des certifications aux structures auditées. Elles garantissent que celles-ci respectent des normes (normes sociales de l'OIT, norme de qualité ISO 2000) ou des standards de labels. De nouveaux audits sont nécessaires, généralement trois ans après, afin de renouveler la certification.
Les audits sociaux émanent (la plupart du temps) d'organismes certificateurs indépendants - ce sont souvent des sociétés commerciales.
Il est aussi possible que les auditeur.rice.s eux-mêmes soient indépendant.e.s de ces organismes certificateurs.
Pour ne pas s'emmêler les pinceaux, on va faire une distinction entre deux types d'audits : les audits "de labels" et les audits d'entreprises.
Prenons un exemple : une organisation indépendante comme la Fair Wear Foundation va réaliser des audits dans des usines afin de s'assurer que lesdites usines sont bien conformes aux standards Fair Wear (qui peuvent évoluer). Ces audits sont réalisés par des équipes locales formées par la FWF, en étroite collaboration avec des ONG et des syndicats.
Mais ce n'est pas le cas pour tous les labels. Les audits peuvent aussi être réalisés par des organismes indépendants : c'est le cas pour le label fairtrade par exemple.
Dans tous les cas, les audits "de labels" qui mènent à une certification ou qui sont réalisés à l'occasion d'un contrôle, sont plus stricts puisque les exigences sociales des labels vont généralement plus loin que les normes internationales.
Dans ce cas précis, les audits sont commandités par les marques et enseignes elles-mêmes. Ce seront alors systématiquement des sociétés d'audits commerciales qui se chargeront de l'inspection.
Les entreprises peuvent même créer leurs propres "normes" en quelque sorte, grâce à des chartes ou codes de conduites rédigés par leur soin.
⇒ Il y a donc bien une différence entre les audits prévus par des labels sociaux, dans le cadre de certifications et de contrôles réguliers, et les audits commandités par des entreprises. Pour les premiers, le contrôle est supposé être davantage indépendant puisqu'il y a moins de liens directs entre les auditeurs et la marque.
⇒ Autre différence : les auditeur.rice.s venu.e.s inspecter une usine dans l'objectif de délivrer une certification doivent travailler sur des documents, grilles d'analyses et questionnaires officiels, préalablement établis. Au contraire, les auditeur.rice.s venu.e.s à la demande des entreprises vont élaborer eux-mêmes leur documents, ce qui peut parfois créer des insuffisances voire des failles dans le contrôle.
Question difficile quand on voit tous les drames humains survenus dans l'industrie du textile ces dernières années.
Il faut déjà savoir que les audits sociaux représentent aujourd'hui une industrie de plusieurs millions de dollars (avec des sociétés d'audits comme UL ou RINA) voire -tenez-vous bien- plusieurs milliards de dollars (Bureau Veritas, TÜV Rheinland, SGS).
Difficile d'être dupe dans ces conditions : les sociétés d'audits sont bien des sociétés commerciales qui doivent répondre aux demandes de leurs clients (donc des marques et enseignes) et générer du profit.
(ce qui, by the way, est la même chose avec les cabinets d'audit financier)
Leurs objectifs sont multiples : gérer les risques commerciaux, prévenir les atteintes à la réputation et à l'image de marque de leurs clients. La conséquence évidente est que ces sociétés ne vont pas (toujours) se préoccuper en priorité de la détection et la correction des violations.
Cela peut expliquer en partie que des accidents, parfois mortels, ont eu lieu dans des usines où des audits sociaux avaient été réalisés récemment (le Rana Plaza au Bangladesh, Ali Enterprises au Pakistan)
On peut se pencher sur le cas éloquent de l'usine Ali Enterprises : cette usine, faute d'équipements de sécurité, a brûlé et entraîné la mort de 300 personnes et blessé gravement 55 autres en 2012.
Cet événement tragique interpelle d'autant plus lorsqu'on sait qu'un audit social avait été réalisé trois semaines plus tôt ! L'audit effectué par la société RINA avait d'ailleurs été sous-traité à sa filiale pakistanaise. Qui plus est, cet audit a débouché sur la certification de l'usine suivant la norme SA 8000 ⇒ cette norme internationale vise à défendre des conditions de travail décentes pour les travailleur.rice.s.
Ça en deviendrait presque ironique
Pour ne citer que quelques défaillances lors de ces audits :
Mais la liste des failles est bien plus longue...
Des milliers de travailleurs du textile et leurs syndicats se rassemblent en 2014, un an après l'effondrement du Rana Plaza qui a tué plus de 1 100 personnes |© Solidarity Center / Foter.com
À ce stade de l'article, on ne pouvait pas vous laisser simplement avec ce constat alarmiste.
Non, nous on veut des alternatives pour changer les choses à notre échelle.
C'est ici que les labels sociaux entrent réellement en jeu.
Les labels sociaux permettent généralement de prévenir ce type de défaillances avec un système de certification et de contrôle plus strict que les simples audits commandités par les marques. Pourtant, il n'existe à ce jour aucun label couvrant toutes les questions sociales et notamment en ce qui concerne le salaire vital. Pour autant, les labels sont des guides intéressants pour un consommateur qui souhaite engager une démarche durable.
Il est important de se renseigner sur les différents labels et leurs exigences en matière de normes sociales lors du processus de transformation et de fabrication.
La fiabilité repose notamment sur l'indépendance des organismes de contrôle qui vont réaliser les audits. Comme on l'a dit plus haut, une organisation telle que la Fair Wear Foundation travaille étroitement avec des ONG et syndicats locaux.
L'objectif est également d'intégrer davantage les travailleurs lors des contrôles en comparaison de ceux effectués par des bureaux d'audits commerciaux. Cela semble indispensable sur les questions de discriminations, de liberté d'association ou encore de négociations collectives pour lesquelles les travailleurs sont les premiers concernés.
Autres garanties de ce label : les audits peuvent avoir lieu de façon inopinée ET tous les comptes-rendus sont accessibles sur le site de la FWF.
⇒ La transparence des labels est un premier pas pour s'assurer de la fiabilité des audits.
Les labels sociaux pourquoi pas, mais à certaines conditions. Et comme lors de notre dernier article, on tient à préciser qu'il n'est pas idéal de se fier aveuglément aux labels pour consommer durable et responsable.
Eh oui, les labels ça coûte de l'argent et toutes les petites marques éthiques qui viennent de se lancer ne peuvent supporter de tels coûts. On apprécie alors les marques qui adoptent une attitude la plus transparente possible en nous permettant d'avoir des infos sur les usines qui ont servi à la fabrication de nos vêtements.
D'ailleurs, même pour les labels, les audits sociaux ne suffisent pas. Des programmes d'accompagnement pour les entreprises sur le long terme sont tout aussi importants, voire même plus, afin de s'assurer de la durabilité de leur démarche.
Nos sources :
Le label GOTSRapport Fig Leaf for Fashion de la Clean Clothes Campaign
"L'écran de fumée de la mode : comment l'audit social protège l'image des marques plutôt que les travailleur.euse.s" Un rapport publié par achACTTags : Les enquêtes